De la récup’ au révolutionnaire : Les armes à penser de Shawn Cotton




Le communiqué de presse – imprimé, avec tout la finesse propre aux éditions L’Oie de Cravan, sur un papier délicat – le disait d’emblée : après Jonquière LSD, le deuxième recueil de Shawn Cotton, Les armes à penser, paru il y a tout juste quelques jours, tisse certains liens de parenté avec la poésie de Denis Vanier ou de Geneviève Desrosiers. Vrai, comme chez ses auteurs canoniques d’une poésie de l’à côté, Shawn Cotton écrit les deux pieds bien ancrés dans le revers des choses. Chez lui comme chez eux apparaît une tentative de circonscription d’un état présent prosaïque, d’une mélancolie qui rit d’elle-même.

Pourtant, il ne faut pas s’y méprendre : pas de trash cheapette par ici, comme on voit souvent chez certaines pâles décalcomanies de Vanier. Chez Cotton, on fait face à une voix qui possède ses propres contours. On rend effectivement compte d’une urbanité difficile, aux nuits longues et aux matins grisâtres, mais la pauvreté du portefeuille n’a d’égale que la richesse d’une langue peaufinée, voire musicale. Les ventres tiraillés par la faim rencontrent des mots flirtant avec le céleste : le quotidien, celui des hangovers orchestrés sur La Main et sur St-Denis, s’élève. « Les obus vides des bouteilles / pleines de bouches trouant / les poches du printemps / et l’eau ruisseleuse des vaisselles / sur nos torts chavirés ce matin / réveillé fruit mûr sevré / de tes touches tes flashs / tes jeans ô matin merveille ». Ainsi, l’opération peut-être majeure opérée ici est celle d’un recyclage : celui de certaines figures d’écrivain, celui d’un quotidien en une œuvre plus vaste. La première partie du recueil l’indique clairement, jouant d’un ton didactique, elle qui s’intitule « de la méthode de récupération des bouteilles vides au fond de mon cœur ». Il n’est nullement question de faire tabula rasa chez Shawn Cotton. Nous sommes dans la logique d’un « faire avec », d’un univers cyclique où les choses meurent et renaissent sans cesse sous le signe des mots, du signe de l’infini « ∞ » qui ouvre un poème, aux « factures [qui] redeviennent poussière ». C’est que « trop facilement un nom/ en efface un autre / et seul le vent / se scotche / à ta vie ». Dépossession, désastre, ruine : oui, mais dénués d’un tragique irrémédiable. La voix poétique est plutôt sous le signe d’une jeunesse passive et dépassée : « j’ai vu/ que l’érosion s’opérait / un fruit juteux à la main / chevilles fixées au plancher flottant / en essayant de retenir tout mon monde / dans l’ordre alphabétique / des choses de la vie ».

La voix poétique l’affirme elle-même : « Je ne pleure pas sur l’idée fanée d’une révolution/je dors sur la grenade/du gène plein les sangs/j’ai beaucoup de livres, parfois je ne suis que la somme de mes influences». Certes, on trouve ici une filiation aussi affichée qu’affirmée : les figures auxquelles se réfèrent Cotton sont de l’ordre de la marge, artistique et politique, et conjuguent même parfois les deux. S’il serait bête de réduire le texte de Cotton à une plate lecture d’intertextes, on pourrait longtemps broder des liens quant à la bibliothèque de Shawn Cotton et sa prose : entre les dédicaces à ses amis auteurs, les exergues citent René Char, Maïakovski, Arthur Russell, Kafka, ou, plus près de nous, Louis Geoffroy.

À ce dernier, il emprunte ce vers, « les peaux sublimement incomprises au cœur de la faim », qui pourrait – si vraiment il le fallait – résumer ce recueil où le désir d’un renouveau social se soude à celui de la chair, procurant des séquences d’une amplitude amoureuse à la doucereuse beauté. Une volonté souveraine de vaincre la nuit ambiante est ainsi formulée. Chez Shawn Cotton, l’envie de faire la révolution est latente, gronde et s’il fallait qu’elle explose, nous souhaitons ardemment que ce soit sur papier qu’elle se fomente : nous les entendons de pied ferme, ces vers ciselés qui dicteront le chaos.


Chloé Savoie-Bernard




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