Les Nuits de la poésie 1970/2010 – instagram poétique?

Hier soir, 23 mars, j’ai assisté (avec Fabrice Masson-Goulet), en compagnie de la crème certaine des poètes québécois, à la projection du documentaire Les Nuits de la poésie dans le cadre du Festival international du film sur l’art (FIFA). Le film se penche, comme son titre l’indique, sur les Nuit de la poésie de 1970 et de 2010 et « crée un lien fort entre les deux nuits tout en rendant sensible l’émergence d’une nouvelle génération de poètes », selon le réalisateur, Jean-Nicolas Orhon. Montage impressionniste des deux soirées, le long métrage pose la question de l’écho qui se répercute entre la première nuit et celle de 2010, en plus d’ouvrir bien grande la porte sur les différences entre la poésie contemporaine et celle de 1970 — entre le rôle des poètes d’aujourd’hui et celui des autres… de la Révolution tranquille. La question est primordiale dans la mesure où la poésie actuelle donne l’impression d’avoir le vent dans les voiles — vu le nombre croissant de publications de recueils chaque année. Pourtant, où la retrouve-t-on au quotidien… dans la vie… dans l’« éternullité » de nos existences, comme le dirait Léopardi. La table ronde qui suivait semblait vouloir répondre à la question, un peu de biais, comme l’on fait lorsque l’on est embêté par une absence de réponse, mais surtout, lorsqu’on est ennuyé par la réponse qui monte à la surface d’un discours qui nous échappe.

Jean-Nicolas Orhon, Isabelle Courteau, Louise Dupré, Francois Charron et Jean-Sébastien Larouche formaient la table ronde qui avait pour thème : la place du poète et de ses œuvres dans l’espace public d’aujourd’hui. En d’autres mots, on s’est employé à illustrer les changements subits par la poésie entre 1970 et aujourd’hui? Si Dupré remarque qu’on accorde une plus grande place aux femmes, aux anglophones et aux allophones dans la poésie, Courteau, de son côté, observe une variété plus grande de poètes, de styles et de formes. Tous les participants, néanmoins, s’entendent sur une chose : la Nuit de la poésie de 1970 fait figure de mythe dans l’imaginaire québécois actuel. Abondant dans ce sens, Larouche note que la poésie contemporaine tente sans succès de reproduire la puissance d’évocation que porte ce moment charnière dans l’histoire de la littérature québécoise — qu’elle s’est recroquevillée sur elle-même en devenant intimiste, qu’elle est sortie de sa sphère immédiate pour chercher sa consécration ailleurs qu’au Québec.

Il y a évidence, la Nuit de 1970 a fait anthologie, faute d’anthologie, indique Courteau. L’événement fait de l’ombre à la poésie qui lui succède. Dressant à gros trait l’histoire de la poésie québécoise après 1970, il semble qu’un mouvement de reproduction s’est opéré entre la fin des années 1970 et 1980. Côtoyant une poésie que je nommerai du « du Noroît », où apparaît une subjectivité fracturée par la forme du texte (poème vertical) et ponctuée par le silence autant littéral que formel (grands espaces entre les mots), la poésie « nationale », « revendicatrice » et « subversive » s’est effacée, faute de pouvoir continuer à tourner en rond, autour du pot de Miron, de Lalonde et de Godin. Selon Dupré, il y avait un vent d’optimisme chez les poètes de 1970. Aujourd’hui, ce serait bien le contraire. Et après avoir fait le tour de son moi, la poésie doit maintenant s’adresser aux gens plus qu’à elle-même, pour reprendre les paroles de Jean-Sébastien Larouche.

Il me semble que si la poésie actuelle peine à rejoindre son public, c’est qu’elle est sans cesse ramenée, ou repoussée, vers le plus grand point d’exclamation de son histoire. C’est un point éminemment obscur pour un lectorat qui sort du Cégep: forgé à coup de «Speak White», de rapaillage de l’homme et d’une souveraineté foncièrement francophone. Les participants de la table ronde l’ont bien fait remarquer : le milieu de la poésie a beaucoup changé depuis 1970. Anglophones et allophones se sont joints au rang des «poètes de la résistance»: parce que le Québec s’est transformé. Ses grandes préoccupations sociales se sont inscrites ailleurs que sur une scène éternellement «révolutionnaire tranquille». D’une poésie profondément collective à une poésie intimiste, le retour n’est pas possible. Survit cette idée qu’il faut retrouver un débat et une réalité qu’aucune jeunesse ne connaît, qu’aucune jeunesse ne connaitra. Si la poésie doit mourir, c’est qu’elle s’acharne à chercher ce qu’elle n’a plus depuis 1970, ce que les nouvelles générations n’ont pas connu et ce à quoi ils ne pourront jamais s’identifier.

Du fond de la salle, Michèle Lalonde a rappelé que la poésie conteste, à sa manière, la civilisation actuelle; que c’est, somme toute, ce qui fait sa force et sa richesse – que celui qui repousse les frontières du langage et des mots combat, au bout du compte, l’abrutissement général.

Charles Dionne

P.S. Un mot aussi pour mentionner la contribution de François Charron qui s’est exclamé à quelques reprises, sautant sur le micro, que le fil conducteur de la poésie est la recherche de la vérité qu’on ne trouve pas sans être confronté à l’expérience du vide, à l’abîme du rêve qui renvoie à nos peurs. Il tente de traverser ses peurs, a-t-il dit ; pour chercher sa respiration ; parce que pour mieux communiquer, il faut mieux respirer

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