« La maison est une des plus grandes puissances d’intégration pour les pensées, les souvenirs et les rêves de l’homme.
Dans cette intégration, le principe liant, c’est la rêverie »
Bachelard, La poétique de l’Espace, p.26.
« Comme si les restes vivaient d’une vie nouvelle »
Ce qui est là derrière, p. 16.
Bien sûr, Ce qui est là derrière témoigne d’une lente réappropriation de l’espace habité – laissé vacant à la suite du départ de l’être cher.
Eh oui… la prose est magnifique et coule de source au sein du premier recueil de la poète Geneviève Gravel-Renaud.
Pourtant, à n’inscrire que cela à l’inventaire, nous risquerions de passer à côté de cet univers à l’immensité intime qui compose chacun des poèmes du recueil – comme ces cabanes de l’enfance construites d’un drap suspendu à quelques coussins, réduisant « à son minimum l’espace entre nous » pour créer un lieu où « il n’y avait plus de place pour quoi que ce soit qui n’émanait pas directement de nous » (p. 15).
Comme le vieux Saint-Denys qui ne se trouvait pas bien du tout sur sa chaise, dans Ce qui est la derrière, on ne se trouve pas bien non plus – enseveli sous le poids des choses, perdu au milieu d’« un espace qui ne nous connaît pas » (p. 30), n’arrivant « jamais à construire rien d’assez fort pour traverser le temps » (p. 35).
Malgré cela, quelques marquages nous conduisent vers une convalescence difficile.
C’est dans l’effort de ne pas circonscrire l’espace familier et en se laissant aller à l’exploration des lieux par l’imagination qu’on pourra recommencer à vivre. Il ne s’agira, en fin de compte, que d’« […] ouvrir des brèches » (p.27) dans notre coin de monde afin « de le remplir » d’imagination qui, comme le notait Bachelard dans La poétique de l’Espace, « nous détache à la fois du passé et de la réalité », nous permettant surtout de nous ouvrir sur l’avenir.
Ainsi, dans chacun des soixante-treize poèmes qui composent le recueil, on assiste à la mise en œuvre d’images poétiques menant à la redéfinition du lieu intime par l’imagination – qui, à son tour, participe à la libération et à la refonte de l’instance narrative.
Puisqu’au départ, il n’y avait qu’ un « moi », un « moi » qui « ne [savait] même pas partir » tant les objets étaient « devenus des ponts de corde qui nous relient à d’autres objets » dans lesquels « on s’enfarge […] avant d’avoir choisi quoi emporter »(p. 55).
Discrètement, les lieux s’éventrent.
Par le biais de l’imagination et de l’image poétique, ces lieux familiers maintenant « s’ouvre[nt] quelquefois brièvement sur de grandes rives immaculées » (p.68).
Les lattes du plancher, le lit, les fonds d’armoires, les commodes, les tables, les étagères, la vaisselle sale, les miroirs, les cadres – bref, l’organisation de la maison – éclatent, comme des fruits trop mûrs, pour créer « un espace minuscule » qui « s’ ouvre au creux de [l]a fiction » (p.78).
Dès lors, on laissera « les images de moi envahir l’appartement », pour en arriver, enfin, à « reprend[re] [s]on souffle » (p.84).
Fabrice Masson-Goulet
Ce qui est là derrière de Geneviève Gravel-Renaud est publié aux éditions La Peuplade: lien ICI
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