Des nouvelles de MMEH – ANNABEL [KATHLEEN WINTER]

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Vous retrouvez l’article original ici, sur mamereetaithipster.com

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ANNABEL [KATHLEEN WINTER]

Éditions Boréal, 2012

Vers la fin des années 60, un couple qui devrait se réjouir de la venue de leur premier enfant se retrouve plutôt avec un lourd fardeau: le bébé est hermaphrodite. Une rareté bien sûr, mais aussi une tare, une différence qu’il faut cacher, garder pour soi. Garçon? Fille? La mère a le sentiment qu’il s’agit d’une fille, alors que le père souhaite un garçon. C’est la médecine qui devra trancher. Mais celle-ci est plutôt aléatoire: à partir d’un certain nombre de centimètres, le pénis est considéré comme un organe masculin “normal”, en bas de cette mesure, on considérera qu’il s’agit plutôt d’un organe féminin. D’une façon comme d’une autre, une chirurgie correctrice s’impose afin d’enlever les parties dites “superflues”.  L’examen révèle donc un sexe masculin et les changements sont faits en conséquence.

Il demeure que seul le temps pourra déterminer si cette décision était la bonne. De son côté, Thomasina, l’amie proche de la famille – celle qui a aidé à mettre au monde l’enfant et fut la première à constater le problème au niveau de son identité sexuelle- ne se résigne pas à le voir en garçon. Elle l’appellera toujours Annabel – seulement lorsqu’elle est seule avec le petit – en mémoire de sa propre fille morte noyée.

Rapidement, celui qu’on nommera Wayne s’avère différent. Il n’apprécie pas ce que les garçons aiment habituellement, il est calme, posé, préfère de loin la tranquillité des moments passés à la cuisine avec sa mère que les activités dites “viriles” auxquelles sont père s’adonne, comme le travail sur le terrain ou la chasse. Les doutes se confirment lorsque le petit se met à être fasciné par une nageuse synchronisée. Lorsqu’il annonce à sa mère “qu’il veut être comme elle”, celle-ci comprend très vite que la décision d’en faire un garçon n’était pas celle qui aurait dû être prise. Plus le temps passe et plus il devient évident que dans ce corps de garçon – menu et délicat – se cache la fille qu’il aurait dû être dès le départ. La situation devient critique lorsqu’il doit se rendre à l’hôpital pour un mal de ventre qu’on diagnostique rapidement comme une très grande accumulation de sang menstruel… On y fera aussi une découverte troublante qu’on cachera à Wayne et qu’il découvrira des années plus tard.

Roman fort intéressant, aux descriptions franches et détaillées, dans lequel on s’investit totalement et qu’on ne quitte qu’une fois la quatrième de couverture atteinte. Le sujet est peu évident et l’auteure évite l’écueil du “freak show”,  nous dépeignant plutôt un être sensible et attachant pour lequel on s’inquiète, pour qui on espère obtenir enfin la vérité. Tissée de mensonges, de non-dits et de silences résignés, la vie de Wayne/Annabel n’est pourtant pas dépourvue d’amour ni de moments de bonheur,  mais tout est en tension constante et on ne tourne jamais une page en ayant la conscience tranquille, car on porte littéralement avec nous le lourd secret des parents. On  suivra l’évolution de cet enfant qui semble toujours en décalage avec son corps et avec les attitudes qu’on attend de lui. On y découvrira un être en latence et, jusqu’à la fin du livre, jamais on n’aura l’impression de le connaître véritablement, ni d’avoir saisi l’entièreté du personnage. Insaisissable, identité floue, sexe indéfini.

Livre qui aborde d’abord la question du genre, mais qui touche aussi à des aspects connexes: l’acceptation, le jugement, la sexualité, le corps. Et aussi un tout un autre univers: autre temps, autres moeurs, petit milieu où tout le monde se connaît et sait rapidement les bonnes, mais surtout les mauvaises nouvelles, et une situation géographique tout à fait singulière: la vie au Labrador. Portrait d’un lieu où la vie se passe à la chasse ou en bateau, où le quotidien de chacun est plutôt similaire et sans remous. Portrait aussi d’une nature grandiose – lieu de refuge et de silence pour les coeurs meurtris et les sentiments confus – décrite avec une  rare beauté et une réelle sensibilité.

Un très beau livre qui nous touche et nous ébranle. Juste et beau, une lecture nécessaire alors qu’émergent trop peu encore les questions de genre et d’identité sexuée.

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Myriam Daguzan Bernier

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