Dans Pleurer ne sauvera pas les étoiles, son troisième opus publié cet automne chez Poètes de Brousse, François Guerrette propose une voix poétique assurée : aux voix de la dépossession que nous propose la plupart du temps la poésie québécoise, il oppose un « je lyrique » volontaire qui, s’il fait état d’un présent continuellement en fuite de sens, propose des avenues pour reconquérir les lieux de la mémoire sur lesquels ronflent sa communauté.
Qu’est-ce qui arrive après le désastre ? Quand on « rôde en colère comme un ange après la fin du monde » ? Ici, l’apocalypse est déjà survenue. Alors, que faire avec une réalité discordante, aliénée, amnésique ? Le rôle du poète est de se remémorer, lui qui souhaite recoudre « avec du fil et un tournevis » « le peuple qui pleure sous [s]a chemise /le passé gelé dans [s]es mitaines ». On se trouve ici dans un univers de parenté avec Benoit Jutras dans son recueil L’année de la mule, ou, un peu plus loin de nous, de Cormac McCarthy et de son désormais quasi-mythique The Road.
Ainsi, dans les ruines du réel, se souvenir devient une porte de salut. Se souvenir pour créer, puisque « les bêtes de l’imaginaire seront les plus fortes ». Se souvenir parce qu’on se situe dans un univers gangréné, où « le mal est fait ». « Nous avons cueilli avec nos mains de géant les champignons de fumée que nous avaient légués la science, la peur et la tradition », engendrant « une soupe mortelle, bouillante et déversée sur des kilomètres de lèvres ouvertes ». Capter les réminiscences devient la manière la plus probante de dénouer cette impasse, avec tout ce que cela comporte de trébuchements et de douleur.
Guerette explore les ratés inévitables des transfuges entre les époques, qui ne peuvent se faire sans blessure puisqu’il explore un monde inéluctablement engagé dans le marasme d’une staticité temporelle. Ainsi, il faut se rebeller contre l’ordre des choses, le questionner pour l’annihiler. C’est impératif, nous dit-il : il faut redevenir sauvage. Peu importe la laideur du monde, il y reste toujours une parcelle de beauté qu’il faut atteindre si on ne veut pas couler complètement. Renouer avec les rebelles qui ont fondé notre société, et qui nous permettront, qui sait, de renaître et tant pis s’il faut passer par la mort pour ressusciter, pour retrouver le sens dans des existences réglées par la course à l’argent et aux REER. Ainsi, au fil du recueil, le « je » du poème se transforme dans certains chapitres en un « nous » qui rassemble les artisans d’un changement de paradigme possible : « nous apprenons la langue des signes vitaux / le vide se mêle à la couleur de nos peaux / nous n’avons jamais peur nous sommes / la fin d’une espèce menaçante ».
Porté par une langue parfois presque mystique, assurément métaphysique, Guerrette crée ainsi une poésie qui resacralise l’être humain. Du même coup, il décape le réel à grands coups de pied de biche, se révoltant contre l’ordre établi. Éminemment politique, il rappelle qu’ « une lumière inespérée se cache derrière chaque émeute, chaque alerte à la bombe », que c’est peut-être par là qu’il faut tendre l’oreille si l’on veut être sauvé, du côté « des mots qui percent les murs ». Ceux de Guerrette en font assurément partie et donnent envie de reprendre la rue, comme au printemps passé. Les carrés rouges, je me risque à l’affirmer, faisaient assurément partie de la minorité revendicatrice qui se décline dans le « nous » de Pleurer ne sauvera pas les étoiles. Un « nous » qui s’autorise à croire que quelque chose de mieux est possible, et qu’on peut y croire avec assez de ferveur pour s’abîmer dans les bombes lacrymos.
Chloé Savoie-Bernard
Chloé a aussi commenté le dernier recueil de Shawn Cotton ICI