La vie au pied.
C’est Mathieu Arsenault qui confirmait la semaine dernière via son blogue le petit espoir qu’on murmurait un peu partout : Vickie Gendreau, auteure du roman tout-le-monde-en-parle de 2012, Testament (Le Quartanier), s’apprêtait à de nouveau botter la mort dans le tibia et à se sauver en courant avec sous le bras un deuxième texte. « De la fucking magie », selon les mots mêmes d’Arsenault. Mais une reine ne se contente pas d’un traitement de roturier, et il fallait pour souligner cet accomplissement quelque chose de spectaculaire, un grand bal littéraire qui réunirait ceux qui, de près ou de loin, ont été punchés dans l’estomac par le passage en comète de Vickie Gendreau. On conviait donc famille, amis proches, amis loin, amis de la fesse gauche et simples quidams qui, comme moi, avaient justement besoin de la plus belle et de la plus grande claque qu’un mardi matin pouvait lui swigner dans la face, à prendre quelques heures pour venir entendre les lignes toutes fraiches d’un roman encore inédit. La mise en lecture a été montée en un temps record. Ça s’est garroché, ça on le sait, parce que ça a l’air que le temps va des fois plus vite que d’habitude. Il a fallu trouver des comédiennes. Trois, en fait. Morena Prats, Érika Soucy et Mylène Mackay, tout aussi extraordinaires. (Sérieux. J’aimerais ça te trouver un autre mot qu’« extraordinaire », j’aimerais ça que ça fasse moins Châtelaine comme appréciation. Je pourrais peut-être reprendre le mot de Mathieu Arsenault : magique. Ouais. En tout cas.) Trois comédiennes qui ont suivi l’élan donné par Sophie Côté et Catherine Cormier-Larose pour monter à bout de bras une lecture de la (presque) totalité du roman tout juste terminé, Drama Queens. Fallait le faire. Elles l’ont fait.
Ça fait que pas de flafla, on s’est retrouvés, petite foule nerveuse à 11h devant L’Espace Libre, spécialement ouvert pour l’occasion. Ça chain smokait déjà. On entre au compte-goutte. Contribution volontaire. Mets ce que tu peux, mais mets quelque chose. À l’intérieur, pas assez de place pour tout le monde. Ça rentre à la pelletée. Ça rajoute des chaises, on se colle collé-collé.
Celle pour qui tout le monde a mis sa vie sur le hold un mardi matin entre dans la salle. Et là, ça applaudit. Fort, pendant longtemps. On se rassoit. Ça part.
Je n’ai pas vraiment envie de résumer ici un texte qui, de toute façon, avec si peu de distance, m’apparaît impossible à résumer. C’est probablement parce qu’il l’est. Drama Queens est loin d’être une simple histoire de maladie. Ça relève grandement du témoignage, de l’écriture morcelée, ça soulève aussi toutes les questions inhérentes à l’autofiction. Mais ça ne me tente vraiment pas de commencer ce petit jeu-là. Les communiqués de presse s’en chargeront.
Vickie Gendreau (on dirait que je ne suis pas capable de me résoudre à l’appeler autrement que par son nom complet), c’est une Virginia Woolf sur l’ecstasy, une Simone de Beauvoir en talons aiguilles, une Marie Uguay en tutu. Ces trois comparaisons, c’est elle qui les permet, dans sa prose même. C’est que Gendreau (tiens, je m’essaie avec juste le nom de famille, on va voir ce que ça donne) a l’oeil de Woolf et sa complexité narrative, grandement marquée par l’idée du fragment, du collage, par un flux de conscience incessant, qui galope sur les idées, comme si des cailloux de mots faisaient des bonds sur le dos de ses phrases. Et puis Drama Queens problématise les rapports humains, laissant paraître une féminité embuée, paradoxale dans son désir de plaire et son j’me-crisse-de-toute, entre l’épilation corporelle et la pisse dans le bain. Et Marie Uguay parce que la langue de Vickie Gendreau est résolument poétique, souvent dans son âpreté même, dans ses airs de tasse sale et de café froid, lorsqu’elle arrache des grands pans de sensibilité pour te les rentrer dans le derrière. Mais aussi te faire brailler. Parce qu’il fallait nous voir, à la sortie de la salle. Le beau temps riait de nous autres, avec nos yeux rouges, nos airs de petite fin du monde et nos cigarettes qui passaient comme si c’était pas naturel de respirer sans. On était une gagne à trouver que le petit vin aurait dû être servi après. Parce qu’on venait de vivre une expérience de la frontière assez unique. Drama Queens est boosté à l’humour décapant, que les lectrices ont beaucoup mis de l’avant. Très souvent, L’Espace Libre au complet a éclaté de rire devant une narration de petits faits cocasses et d’anecdotes grinçantes. Devant une narration vivante, j’ai envie de dire. C’est que, pendant quatre heures, c’était la vie qui était aux pieds de Vickie Gendreau. Pendant quatre heures, la mort s’est tenue tranquille. Même si elle tapissait le texte au complet, occupait ses recoins, murmurait parfois des choses pas très cool aux oreilles des lectrices et des auditeurs, la mort s’est tenue droite, patiente. Vickie l’avait en laisse. Elle nous a laissé le temps d’écouter avant tout un texte, de découvrir ce qui sera, si tout se passe comme prévu, un grand roman.
Ça fait quelques heures que je cherche une meilleure fin à ce texte-là. Je ne trouve pas. Je n’ai pas envie de finir, je n’ai pas envie, surtout pas ce soir, de me dire que les choses peuvent finir. Je sais bien que je suis dans le pathos. Je ne sais pas comment faire autrement. J’ai demandé à Fabrice s’il pensait écrire un truc sur la lecture. Je n’ai pas les mots, vas-y si tu te sens OK avec ça, qu’il m’a dit. Je me rends compte que je suis pris avec un langage de mots-bouées qui m’empêche de vraiment venir à bout de ce à quoi on a assisté. Je flotte à la surface, je suis incapable d’en rendre quelque chose de cohérent. Je ne sais même pas s’il faut donner de la cohérence à tout ça. Sais-tu quoi ? Je pense que je vais m’en déboucher une autre. Je pense que je vais sortir fumer ce qu’il reste de mon paquet de topes. Et que je vais profiter du bonheur de voir la vie passer.