Poésie – Lula

Coetzee

la seule fois où j’ai voulu danser
je faisais des diagonales
avec treize filles
presque aussi anorexiques
et déprimées que moi

 

le chorégraphe
m’a dit
d’arrêter de bouger mon cul
comme une latina
dans un club un samedi soir

 

je ne danse pas le soir

 

monsieur
ni le jour
ni rien
je ne bouge pas

 

je passe des heures à regarder
des moineaux
s’écraser contre la fenêtre
de ma chambre de sous-sol

 

c’est charmant
les petits oiseaux suicidaires
qui volent bas

 

il paraît que sans médicaments
ça va me prendre trois ans
à regarder 
Maria Callas
gueuler
sur Youtube
que l’amour
est un oiseau rebelle
à la regarder mourir
de peine d’amour
et d’arrêt cardiaque
seule
dans son appartement de luxe
du seizième arrondissement

c’est toujours relaxant
de mourir par procuration
de rester vivante
enfermée dans sa cuisine
faire cuire des crêpes sucrées
d’angoisse
de fin du mois

et les vomir 
ensuite
dans le bol de toilette
sous forme de tubes de pâte à croissants

je suis rendue à trois fois le mot
oiseau
dans mon poème
je suis chanceuse
de ne pas être dans un atelier de création littéraire
dans une classe pleine d’esprits de l’UQAM
local 2730-A

 

ils auraient tout remarqué :
ma structure de progression
défaillante
ma prononciation
de latina
mon obsession pour les objets volants
ma compression systématique

 

« ton poème a besoin de plus d’espace »
« il faut le laisser respirer »
« il faut doser sa puissance »

 

j’aurais pleuré
pendant une heure et demie
assise en cercle
avec seulement
mes manches de manteau
pour mouchoir