Samuel Mercier – Si la fin approche, s’il vous plaît, serait-il possible de l’accélérer ?



Une demi-polémique a failli déchirer le monde littéraire québécois au sujet d’une réponse de la jeune auteure Marie-Christine Lemieux-Couture à la critique de son roman Toutes mes solitudes! lors de l’émission Bazzo.tv. On en parlait sur FB et autres véhicules, certains disant que MCLC était allée trop loin, d’autres – écrasons l’infâme! – qu’elle avait raison de répondre au sombre Gildor Roy et à ses compagnons… Même s’il faut probablement reconnaître que le billet n’avait rien de plus malin à ajouter, ce qu’il y a à retenir dans cette histoire n’est peut-être pas tant le mélange d’orgueil mal placé et de charge ratée de Lemieux-Couture, mais le vide critique dans lequel il s’inscrit.


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Des générations d’auteurs s’en sont pris à leurs critiques, souvent pour le mieux et au plus grand plaisir des badauds. Juste à penser à la sortie épique de Jean Larose contre la Bande des six au début des années 90 pour se convaincre que la réponse à la critique, quoique la plupart du temps de mauvaise foi et pas nécessairement plus flatteuse pour l’auteur lui-même, demeure et reste un des genres les plus divertissants du champ littéraire en jachère.


Le problème auquel les écrivains font face aujourd’hui est la quasi-absence de critique intelligente à laquelle répondre, et c’est justement pour cette raison que le pétage de coche de seconde main de MCLC donne aux passionnés de littérature une nouvelle raison de se jeter sous les roues d’un autobus de la STM.


Il faut dire que la critique faite par Bazzo.tv est particulièrement désespérante. Peut-être peut-on mettre ça sur le compte du format télé qui ne laisse pas beaucoup de temps pour s’exprimer, peut-être… mais le résultat est tout de même là : une critique impressionniste qui ne dit, au fond, à peu près rien sur l’oeuvre d’art. Ça fourmille de « Ça m’a enchanté » de « Moi ça m’a fait décrocher » et, dans un moment de grandeur, le célèbre esthète Gildor Roy en vient même à pérorer : « Pourquoi traverser le Canada ? Pourquoi ? ».


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Cette critique qui ne parle ni d’art ni de ses enjeux, mais des réactions subjectives qu’il provoque serait à la limite amusante si elle ne s’étendait pas jusque dans les sphères les plus respectables de la société québécoise. Prenons, par exemple, le très sérieux Devoir et son cahier Livres, sorte d’autorité en la matière (pour ceux qui n’ont qu’un modem 56k pas branché et qui n’auraient pas encore songé à s’échapper). Pas plus tard que la semaine dernière, il était possible d’y lire au sujet d’un recueil de Larry Tremblay sous la plume d’Hugues Corriveau : « Troublantes réussites que ces très courts textes qui accumulent avec une pertinence stupéfiante les marques qui nous scarifient le coeur à fréquenter une telle oeuvre picturale [celle de Bacon]. »


Plus de mots et l’inversion d’un groupe nominal en début de phrase ne sont pas exactement les preuves d’une pensée éclairée. S’il y a une idée ici, il faut reconnaître tristement que sa « pertinence stupéfiante » échappe probablement à la plupart des lecteurs. En fait, il n’est ni question de l’oeuvre picturale dont on ne souligne que l’importance supposée par le terme « telle », ni du texte qu’on réduit à sa longueur (et ça ne s’améliore pas au fil de l’article). Quant au reste, « les marques qui nous scarifient le coeur », il faudrait peut-être prendre quelques minutes pour envoyer nos pensées à ce pauvre Hugues en espérant qu’il se porte mieux.


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On peut rire, mais ce que cette gildorisation de la critique littéraire révèle est plutôt alarmant pour les gens qui ont encore envie de lire des livres plutôt que des communiqués de presse ou des états d’âme. À moins de penser que toutes les opinions se valent – ce qui, en soi, serait une bonne raison d’arrêter de lire et de commencer à bloguer sur le site du Voir, le vide ne peut être qu’une mauvaise chose parce que la critique a bel et bien un rôle à jouer, et ce rôle est justement celui d’entamer un dialogue.


Quand Foglia écrit d’un livre que « [c]e sera l’événement de la rentrée parce que c’est un très grand bonheur de lecture », c’est un pas de plus dans la déprime ambiante du « je pense que ». Si tout le monde pense tant, à quoi bon aller lire ailleurs ? À quoi bon lire quand il ne suffit plus que d’écrire ? De parler de son grand bonheur de lecture.


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Les idiots aiment souvent dire que les goûts ne se discutent pas, mais c’est justement parce qu’ils ne savent pas discuter de goûts sans parler d’eux-mêmes. L’art est plus qu’une question de grand ou de petit bonheur, de mal écrire ou de bien écrire (d’ailleurs, ça veut dire quoi « bien écrire », Gildor ?), c’est une manière d’aller vers l’autre et surtout vers un autre regard sur le monde. Si on ne peut plus remettre en question ce regard, l’interroger, tenter d’y accéder ou de le partager, à quoi bon tout ce papier ? Autant bien brûler les livres à mesure qu’ils sortent.


Il reste peut-être quelques ilots ici et là, dans des revues à petit tirage qui paraissent de moins en moins, sur le mur de certains amis FB quand on a la chance de connaître des gens qui ont la même passion, le reste est une terre stérile, ridicule au point de susciter des réactions comme celle de MCLC quand le vide en matière culturelle n’attire pas exactement le plein.


Où était-il, Christian Desmeules, qui avait écrit « On en redemande » à propos de Toutes mes solitudes! quand d’autres « décrochaient » ? Pourquoi pas un dialogue critique, justement, pourquoi pas une réponse ? Peut-être simplement n’y a-t-il plus de place pour la réponse, plus de discussion, plus d’effort pour repenser le monde à partir des livres. Et qu’entre en redemander et décrocher, il n’y a qu’un vide, et de la pâte à beigne autour.




Samuel Mercier



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