Poème sale a demandé à 52 auteurs d’écrire sous l’influence du bavardage. Lisez leurs textes du 1er au 28 février 2013. Retrouvez les textes publiés antérieurement dans notre Table des matières
Anachronisme : le livre deviendra vintage
L’excitation, pour ne pas dire l’instantanéité, se frappe à l’embouteillage d’une discussion étrange. Reste toujours une lointaine tragédie, ailleurs, au sujet de laquelle un commentaire judicieux sur Twitter permet de motiver un Screenshot repris par quelques acteurs importants des retweets et des shares. Rien ne vaut une réponse incisive – mais désengagée – au statut Facebook de notre vieille connaissance du secondaire pour se sentir capable de faire cinquante push-ups. Le flux s’écoule rapidement, au plaisir des pilotes du like. L’utilité des mots fait place à l’urgence des cupcakes cuisinés entre deux dimanches, et des lattés commandés comme symbole de sa petite érudition, au café local qu’on espère être le seul à connaître.
Au centre de tout ça, je lis moins de livres qu’avant, peut-être. Mais avant, c’était durant un bac en littérature. C’était un rythme imposé, et difficile à battre. Je suis prêt à dire que je ne lirai plus jamais autant qu’avant. Ce n’est le symptôme de rien d’autre que de la fin de mes études littéraires. Je suis prêt à dire, par contre, que ma lecture s’est rapidement moulée au rythme de mon mur Facebook et de mon flux Twitter : le plus récent message est plus important que les autres, ainsi de suite, à l’infini. Cette lecture des statuts peut se prolonger toute la nuit. Pourtant, dans l’ensemble, je ne sais pas encore comment mon rapport au savoir s’est modifié. Il est trop tôt. Je lis encore des articles en ligne de onze pages sur le New York Times et le New Yorker. Et c’est vrai que je me trouve pas mal nice d’être encore capable de faire ça. Je retourne encore sur Érudit.org (après être passé par Wikipédia). Je lis des livres dans le bus et le métro. Je n’ai jamais téléchargé Angry Birds.
Néanmoins, réfléchir à l’objet livre dans sa relation avec le champ actuel du texte précipité sur les divers satellites du Web me semble bien plus pertinent que de l’opposer au livre numérique. Si le texte figé sur papier est voué à ne plus représenter le rendez-vous unique de tous les savoirs, il conserve tout de même une valeur matérielle bien particulière. Nous situant vingt ans plus tard, j’imagine le livre comme objet en puissance, pour les hipsters : une espèce de reprise ironique de l’érudition, de la pédanterie livresque alors que l’information du futur ne passera plus que par la fibre optique. Son information ne se screen shottant, partageant ou retweetant pas très bien, le livre papier deviendrait l’objet d’excellence d’une culture underground : se partageant dans la proximité des corps. Et quel blogueur/journaliste aurait le temps de lire un livre alors que la nouvelle, l’éditorial et la chronique du futur se publient aux quinze minutes?
Les livres seront les nouveaux vinyles ; les lunettes vintages toujours à la mode (mais avec de véritables verres cette fois) ; les ventes de tablettes en coin au Rona du Mile-End grimperaient en flèche ; l’apparition des jokes hautaines de papercut ; un livre fièrement tenu durant une balade en fixe ; des photos Instagram d’une canette de Blue Ribbon sur un livre servant de sous-verre.
Gardez vos livres.
Charles Dionne est le cofondateur de Poème sale.