E – Nicolas Charette

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Poème sale a demandé à 52 auteurs d’écrire sous l’influence du bavardage. Lisez leurs textes du 1er au 28 février 2013. Retrouvez les textes publiés antérieurement dans notre Table des matières



Explorer



Du latin explorare, « parcourir en cherchant ». Parcourir un lieu pour découvrir ce qu’il renferme. Par extension, observer quelque chose sous tous ses angles.


Écrire peut être ce parcours par lequel on cherche, une exploration dans le noir des choses, avec pour seule lumière sa parole.


Pour celui qui lit, la valeur de cette recherche est discutable, mais pour celui qui écrit, c’est le voyage qui importe. C’est une expédition qui le mène loin du bavardage, de cet espace balisé par les lieux communs, jalonné par les mots d’autres explorateurs qui ont aussi créé des cartes avec lesquelles, maintenant, nous nommons consensuellement certaines choses. L’exploration de l’un peut devenir (ou est déjà) le bavardage de l’autre, mais dans l’acte d’écrire, c’est le parcours de celui qui marche dans le noir qui compte. Écrire pour explorer, c’est réviser la carte de l’Être, la peaufiner, parfois avec l’espoir improbable d’y ajouter un continent.


On n’explore véritablement que dans le doute, avec l’idée que nous ne savons pas, que la nature profonde du monde nous échappe. La posture est essentiellement humble. Le geste un peu fou, aussi. Il y a là une foi dans l’outil de recherche, une confiance dans le langage sans lequel l’exercice ne serait qu’une rêverie intangible. Qu’il matérialise ou symbolise les éléments de son périple, celui qui explore nomme le territoire qu’il parcourt.


Le bavardage, dont l’étymologie provient de l’onomatopée « ba-ba », consiste à parler de choses et d’autres, et ce babil ne tente pas de donner forme à l’informe. Le bavard ne risque rien; il marche sur quelque chose de plus ferme, sur des choses (et d’autres) pour lesquelles l’usage des mots a une valeur plus unanime. Le bavardage ne produit pas, il reproduit. Parfois bêtement, parfois avec esprit. En termes de posture, le bavard visite ce que l’écrivain explore.


Si l’on admet que l’Être – dans toutes ses dimensions – reste un mystère à bien des égards, alors on devrait toujours écrire contre le bavardage. À défaut de le faire contre celui du monde entier, on doit le faire contre soi-même, contre le bavard en nous, celui-là qui babille, parlotte et placote, qui parle avec certitude et qui croit savoir. Il faut le faire taire pour explorer. Il faut du silence et du temps.






Nicolas Charette a publié un recueil de nouvelles, Jour de chance (2009), et un roman, Chambres noires (2012), aux éditions du Boréal.

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