Poème sale a demandé à 52 auteurs d’écrire sous l’influence du bavardage. Lisez leurs textes du 1er au 28 février 2013. Retrouvez les textes publiés antérieurement dans notre Table des matières
Junkie
Il est tôt, je fais la baboune. J’ai besoin de mon shoot de réseautage virtuel. Pour me réveiller et être bien certaine, avant de me mettre à l’écriture, de ne rien manquer du spectacle de la vie sociale. Dès l’instant où j’ouvre les yeux, je consulte Facebook sur mon portable. Je le fais en cachette avec un système de repliements de couvertures et d’ancrage d’oreillers bien étudié, car je sais que je vais faire soupirer maître dormeur à côté de moi, un exaspéré de ma dépendance aux réseaux sociaux et qui lui, s’en tape et n’y comprends rien. Il a une vie, LUI. Il ne procrastine pas, LUI. Il n’y a qu’au tabac qu’il s’intoxique et encore, ça lui fait perdre moins de temps qu’à moi en période de création, ça l’aide même. Oups, attendez un instant.
Ok, je suis de retour. J’ai honte. Cinq minutes que j’aurais pu passer sur ces lignes à travailler comme une brave auteure un peu misanthrope qui ne veut rien savoir de ce qui se passe ailleurs. Cinq minutes d’un trip délicieux pour apprendre qu’un de mes amis – qui n’est pas vraiment un ami parce qu’il ne se rendrait pas à mes obsèques ou qui ne me prêterait pas d’argent en cas de besoin – a perdu son chien, que c’est l’anniversaire de la mère d’une madame dont j’ai oublié le prénom et que la petite dernière d’un ancien collègue de travail vient de prononcer un mot d’enfant… Cuuuuute. Ah et puis, je me demandais à quoi ressemblait la photo d’échographie d’une voisine. Je compare avec la monstrueuse image de celle de notre future enfant qu’on a collée sur le réfrigérateur. Ça fait ça une bonne mère ?
Or, moi, je suis une junkie. Je n’arrive plus à écrire. Je rédige, puis, c’est plus fort que moi, je retourne sur les réseaux pour me récompenser après une bonne lancée. J’y vais aussi quand je suis en panne d’inspiration ou pour nourrir mon narcissisme de m… quand je viens de faire un statut dont je suis fière. J’obsède à l’idée de savoir qui a vu, qui a commenté. Et là, je m’égare parce que, tiens tiens, ça fait un moment que je ne suis pas allée épier les photos de cet « ami » là. Ah, il s’est marié avec une certaine madame X. Tiens donc, je vais aller voir à quoi elle ressemble. Ah, elle me fait penser à une actrice française. Je vais sur Google pour me remémorer la vie de cette femme. J’apprends qu’elle est disparue dans des circonstances mystérieuses l’an dernier. Je suis aussi une junkie du potinage. Il me faut en savoir un peu plus sur cette tragédie qui me fait saliver. Je me déculpabilise en me disant qu’elle pourrait bien m’inspirer un personnage pour une nouvelle ou un roman. Ça me ramène à ce manuscrit que je dois avancer. Mon éditeur attend. Lui, il est plus sur Twitter. Je vais consulter ses Tweets pour être bien certaine que pendant qu’il gère des guerres de coqs médiatiques encore plus narcissiques que moi, il n’attend pas mon premier chapitre. Ça me rassure. Je peux encore succomber encore et me doper à ma guise. Je jouis, c’est bon. Vers 23 heures, je suis crevée. Sentiment de culpabilité. Il faut dormir et passer au mode onirique pour raconter ce rêve le lendemain matin dans un statut. Aidez-moi S.V.P.
Elle est l’animatrice de l’émission LIRE diffusée sur ARTV et on peut l’entendre chaque semaine sur les ondes du 98,5 FM. Journaliste depuis treize ans, Claudia est aussi auteure et publiait en 2011 le recueil de nouvelles Les bonnes filles plantent des fleurs au printemps et signait un des textes du collectif Amour & libertinage par les trentenaires d’aujourd’hui, qu’elle codirigeait. Elle collabore régulièrement comme journaliste, recherchiste et chroniqueuse dans les médias. Elle est titulaire d’un baccalauréat en journalisme et d’une maîtrise en création littéraire de l’UQAM. Elle vit à Montréal, où elle termine l’écriture d’un roman.