Poème sale a demandé à 52 auteurs d’écrire sous l’influence du bavardage. Lisez leurs textes du 1er au 28 février 2013. Retrouvez les textes publiés antérieurement dans notre Table des matières
Liquider
C’est à qui de nous deux dénichera la figure de style la plus cruelle : nous sommes virtuoses de la bitcherie. Dans le secret de nos inbox, nous liquidons ces gens qui ont un jour eu la nonchalance de nous add as a friend : tes amis sont tes meilleurs ennemis, comme qu’on dit. Quand nos vies nous échappent, nous rêvons que la vacherie soit une discipline universitaire. Donner des conférences outremer tous frais payés sur l’art d’être une chienne est notre plus grand fantasme.
Aujourd’hui, c’est toi qui pars le bal. 18h05, tu me quotes le status de Marguerite M. qui, une fois encore, nous grée de ses prouesses culinaires qui se conjuguent à une anorexie évidente. Aujourd’hui, elle ingèrerait « boulettes végé au kale, vinaigrette home made et bulles ». Pathos. 18h09, je renchéris : « si j’étais aussi loser que cette pauvre enfant, moi aussi j’aurais besoin d’instagramer mes réussites avec autant de ferveur ». 18h12, après observation d’une énième occurrence du phénomène, j’en viens à m’interroger : « est-ce que ce connard qui est disparu dans la brume après m’avoir nické trois-quatre fois pense qu’il me flatte en retweetant mes réflexions connes à ses 12000 followers ? ». 18h15, une autre notification. Tu remarques finement que « pour lui, t’octroyer de la cyberattention publique, c’est une bien plus grande reconnaissance que de te licher la noune en privé ». Les gens, quel désespoir.
Entre 18h15 et 18h30, on s’envoie quelques vidéos d’animaux : je tripe chèvres irlandaises et toi, poméraniens. 18h32, je t’avoue que ma nouvelle date n’a toujours pas répondu à mon dernier message. Tu me rassures en me disant des douceurs. Pendant que tu me louanges, l’éphèbe me réécrit. Coup de théâtre : je me rends compte que s’il a eu besoin de douze heures trente-cinq minutes, c’est qu’il m’a rédigé un poème, le coco.
Un bordel de poème rimé de 17 vers. Avec 49 fautes d’orthographe.
18h36, je te pomme-c son épitre avec une dextérité qui m’épate tant je suis prise d’une hilarité nerveuse. Au copié-collé, je joins des interrogations légitimes : « quelles carences socio-affectives il a, le pauvre chéri, pour agir comme ça ? Sa mère l’a allaité trop longtemps ? Il ne sait pas qu’en 2013, girls just wanna get bang ? ».
Entre 18h40 et 18h49, on lui diagnostique diverses psychopathologies. On conclut pragmatiquement qu’il a simplement manqué d’air à la naissance. Nous décidons ensemble que la manière la plus drôle de réagir à cette situation navrante est de lui répondre laconiquement, en lui envoyant un hyperlien vers le site d’Antidote. Juste après avoir appuyé sur send, j’ai la sensation très nette que nous venons d’être adoubées doctorantes de la chiennerie, toi et moi. Mine de rien, nous accomplissons les choses comme les reines que nous sommes.
Chloé Savoie-Bernard sous-titre en direct des combats ultimes et du curling pour mettre du beurre bio sur son pain de blé entier. Entre un étranglement triangulaire et une sortie montée brossée, elle complète une maîtrise en littérature. Elle miaule souvent et scratche toujours son vernis la journée même où elle l’a appliqué.