Poème sale a demandé à 52 auteurs d’écrire sous l’influence du bavardage. Lisez leurs textes du 1er au 28 février 2013. Retrouvez les textes publiés antérieurement dans notre Table des matières
S COMME DANS SOLILOQUE (mais pas comme dans sérieux)
Il fût une époque légendaire où j’écrivais seul, tard le soir, accompagné d’un verre de vin toujours trop vide et d’une cigarette fumant perpétuellement dans le cendrier, porté par un flot créatif qui s’apparentait à un sentiment d’urgence, urgence de dire au monde entier ce que je pensais de lui. Je rêvais du moment où les lecteurs parcourraient mon œuvre, fantasmant sur le son provoqué par le rythme quasi effréné des pages tournées. Bien sûr que je rêvais. Parce que j’étais bien conscient que personne n’était vraiment lu. Ou si peu. Ce fût une époque légendaire où le soliloque régnait en maître sur mon écran d’ordi (et les vôtres).
Puis vint ce petit rouquin pervers qui eût la brillante idée de nous lier les uns les autres dans un monde virtuel terne, bleu et blanc comme le Québec, mais sans le souci d’indépendance. Bien au contraire. Ma retenue naturelle fit rapidement place à une certaine exaltation, à grands coups de statuts tonitruants, de likes irréfléchis et de commentaires juvéniles afin de faire rire gras mes éphémères best friends forever. Parce que, tout d’un coup, l’écrivain en moi avait un public en direct. L’écriture devenait uniquement représentation. Voici une petite liste de statuts qui passèrent à la postérité pendant 24 heures :
2009 : Je garde des enfants avec Jean-François Harrison. (8 likes, 7 commentaires)
2010 : Michel Montignac est mort à 66 ans. M’en vais manger des patates en masse ! (12 likes, 10 commentaires)
2011 : Wow ! Amy Winehouse n’était pas déjà morte ? (15 likes, 11 commentaires)
2012 : Je crois bien que Gaétan Barrette peut être élu, mais je suis pas sûr qu’il puisse entrer à l’Assemblée nationale… (16 likes, 11 commentaires)
Ces exemples de petites perles raffinées me confortèrent dans ma qualité d’écrivain et me poussèrent à épouser un style davantage slapstick quand je sortais de Facebook afin de retourner inventer des péripéties à des personnages ineptes ou, bien pire, écrire de la poésie (un cocktail infect de phrases qui riment, sans la musique pour faire passer le tout).
Advint cependant un évènement extraordinaire qui eut l’effet d’un dur retour à la réalité. Un jour, un statut demeura sans réponse, sans aucune marque d’approbation ou de réprobation. J’eus beau tenter de le relancer en me commentant moi-même, rien n’y fit. Je songeai même à commettre l’irréparable, m’auto-liker, mais résistai à la tentation. Pendant ce court instant de l’histoire des médias sociaux qui parut durer une éternité de lectures de l’œuvre de Denis Monette, le soliloque ressurgit. Et je trouvai ça merveilleux. Puis c’est ma mère qui finit par m’écrire un simple commentaire : «Va te coucher mon minet.».
«Va chier maman.» (8 likes)
Marc-André Huot est rouquin, pervers, bibliothécaire et écrit parfois au passé simple. Malgré le fait qu’il n’ait rien pour lui, il écrit des textes comme on conçoit des pubs d’alcool, en étant faussement épique et réellement idiot.