S – Nicolas Langelier

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Poème sale a demandé à 52 auteurs d’écrire sous l’influence du bavardage. Lisez leurs textes du 1er au 28 février 2013. Retrouvez les textes publiés antérieurement dans notre Table des matières





SOCIAL (ANTI)



Parfois, je m’écoeure moi-même. Souvent, en fait. Je suis là, assis devant l’ordinateur, et l’idée de contribuer une phrase de plus à la grande conversation mondiale me donne mal au coeur. Physiquement mal au coeur. C’est dans ces moments-là que je pense sylviculture, que je pense élevage de chèvres, que j’ai envie de tout crisser là et de partir loin du babillage du monde, des «discussions», du Huffington Post Québec.

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«Anti-Social is a productivity application for Macs that turns off the social parts of the internet. When Anti-Social is running, you’re locked away from distracting social media sites, including Facebook, Twitter and other sites you specify. With Anti-Social, you’ll be amazed how much you get done when you turn off your friends.»


Ça fait que je vous turn off, les amis. Ça fait que je vous éteins. Je demande 90 minutes, je demande 120 minutes si je me sens lousse. Parce que quand vous êtes allumés, je ne peux pas vraiment vous parler. Oh, je peux vous dire plein de choses, et je peux vous faire des remarques comiques et je peux flirter avec une nonchalance étudiée et je peux communiquer avec vous par liens interposés et je peux vous aimer en masse, vous pis vos minous — mais je ne peux pas vous parler.


Quand vous êtes éteints, je peux essayer de penser un peu, d’être honnête un peu, d’écrire pour vrai un peu.


Mais le problème c’est que je n’ai pas éteint mon iPad. Je l’entends, de la cuisine, qui émet un bip à chaque fois que vous m’envoyez un courriel ou que vous ajoutez une joke à une joke sur Facebook. Et il faut que je me lève pour aller voir ce qu’il en est.

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Aujourd’hui, j’ai reçu une lettre. Une vraie de vraie lettre, sur du papier pis tout. De quelqu’un que j’estime beaucoup, un genre d’idole, si c’est encore possible d’avoir des idoles, en 2013. «Vous avez beaucoup de talent, même si vous le dispersez».


Je ne sais pas pour le talent (je sais de moins en moins à mesure que je vieillis, on dirait, et je pensais que ce serait le contraire), mais je sais pour la dispersion. Et c’est la dispersion qui me tue. C’est la dispersion qui me donne des envies d’ermitage. «Faire porter (un effort) sur trop de choses à la fois et les rendre ainsi inefficaces», me dit Antidote, avec une grammaire qui me semble elle-même un peu dispersée. «Faire aller de tous côtés, faire cesser d’être ensemble».


C’est le «faire aller de tous côtés» qui m’écoeure, m’épuise. Et c’est le «faire cesser d’être ensemble» qui me fait crissement peur, pour la suite des choses.




Nicolas Langelier est auteur, éditeur et rédacteur en chef du magazine Nouveau Projet.







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