Poésie – Roxane Desjardins

Fiona Rae, Figment 2c, 2015.





Je te demande de sacrer ton camp


(je vais mettre mes ovaires sur la table à côté de ma dignité pour être sûre de pas y toucher.)


il y avait un silence de mort quand je me suis réveillée
dans une chambre tolérable
dans un lit tolérable
dans un silence de mort
il y avait de la buée dans les vitres mais c’était l’été
l’été tolérable à s’arracher les dix doigts sur le bord de la fenêtre
à essayer d’en sortir

dans le silence de mort je ne m’entendais pas respirer j’entendais
bourdonner la mort
puis mon corps rester là rester là jusqu’à l’apocalypse

j’ai essayé de bouger quelque chose
de lever mon petit doigt mettons
de secouer le drap ou de ressusciter
j’étais couchée dans une tonne de briques

puis il y a dû y avoir un éclair un hurlement de chattes en chaleur dehors
tous les chiens de la ville se sont mis à japper que j’étais une crisse de conne
je me suis levée
je suis partie

je suis venue toute seule
j’ai laissé ma peau dehors
je suis venue tout nue j’ai pendu ma carcasse par le cou
maintenant que j’arrive que je suis rendue je n’ai pu peur de rien
même pas des sauvages qui me remontent le long des jambes

d’habitude d’habitude je reste tassée dans un coin quand ça arrive
je m’enferme dans ma peau et ma face dans mes mains
je m’organise pour que ça ne se rende pas jusqu’à moi parce que
c’est ma seule façon de tenir d’un morceau
de me rendre jusqu’au lendemain

d’habitude quand ça te prend je me ramasse pis je te laisse aller
je deviens la patronne des petits fous je te surveille comme une maman douce
dans ma carapace de silence

d’habitude pendant que tu débordes de tes culottes que tu sors de ta forme humaine
tu deviens un peu plus chaud un peu plus aigu
tu pars quelque part où je ne peux pas suivre
faque je veille
je trouve la nuit longue
interminable
mais au bout de la nuit je me relève pour ramasser tes petits morceaux
d’habitude

mais dans mon silence de mort
mes chiens se sont réveillés dans ma gorge

je suis venue paniquée par derrière
sabotée dans tous mes ouvrages
je suis venue vivante porter les maladies vénériennes
je suis venue vierge rentrer dans toutes les angoisses
je suis venue finale et aboutie
dépravée et émergeant de mes masques
et débarrassée de mes manuscrits
forcée dans l’accident de l’existence
j’ai caché brouillé ma piste d’animal traqué
j’ai enterré mes morts pour venir sobre et spontanée

je suis venue deboutte prendre la misère pour du cash
je suis venue fière neuve nue manger la jouissance de notre premier french
je suis venue rouler dans la vieille réguine

maintenant que je me présente que j’ai déclaré mes mille péchés
et dit redit et redit que je suis sans défense
que je n’ai même pas de cheveux
que je n’ai même pas de force dans les bras ni d’espoir
de me relever demain

veux-tu me prendre comme que c’est veux-tu aboutir au fond ruer dans mes brancards
veux-tu me montrer comment faire le largage des amarres
et des petites statues humaines
et comment séparer le vrai du faux et boire les verres jusqu’au fond
et en fait apprends-moi donc comment m’en crisser si c’est vrai ou si c’est pas vrai
si ça fait mal ou si ça fait pas mal je pense
que je mérite que tu m’amènes à rabouter mes épaves avec les tiennes et surtout surtout
surtout
avec celles des inconnus que j’ai croisés dans la rue
qui sentaient la pisse et le tsour de bras et la misère noire et la peur
je voudrais que tu m’amènes à charger dans ma peur
équipée comme je suis avec mes ciseaux d’amateure
et mes poignets d’oiseau

je te demande de me débarrer la parole de m’ouvrir avec la clé des grandes occasions
le gosier pour que tout ce que j’ai sur le coeur sorte pour que la colère arrête
d’être une boule dans la gorge et s’amène en plein milieu de la scène
je te demande de m’écarter la panique puis de me faire crier que je suis en train de virer folle
que je vois des personnages descendre dans l’enfer qui se dégoupille comme une grenade
que je plonge dans la sueur de vivre
que je suis enfermée dans la réalité
je te demande de te dévêtir
je te demande de crier debout
je te demande de sacrer ton camp

je te vois dans la lumière crue tout change tout est reviré de bord
la poésie est plus rouge que ton pipi les subterfuges changent de sang avec saint-denys garneau qui est parti par l’autre rue pendant que tu descendais du métro
deux stations avant moi
je suis verte moi verte
comme la feuille qu’on attend toujours
je suis verte comme une couleur et j’offre ma tête exposée
aux ciels d’apocalypse

la faim la peur la fouille s’empare de moi
à la douane qu’il faut passer pour passer
de la vie à la mort
de la
de l’asthme dans la chaleur de notre lit le matin
le sursaut le secret
tout ce qu’on ne connaît pas
un hiver nouveau
un chant de glace
une blancheur qui fait mal
mon visage-pâle le matin à la lumière de tes mains des cils coincés dans la porte de la réalité
je me ramènerais
dans des foetus de porcs
me faire avaler par les yeux dans aucune considération esthétique
ma vengeance gratuite pour l’intouchable et l’inaltérable et ce que
tu
n’es
toujours
pas
capable
de me dire.





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